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Raphaël Coleman, écrivain
14 janvier 2016

De la légitimité des coups de gueule et prises de position publique d'un certain Balavoine : un artiste peut-il tout dire ?

Le trentième anniversaire de la tragique disparition de Daniel Balavoine, l'auteur-compositeur-interprète aux 20 millions de disques vendus, mais aussi l'homme-citoyen, le révolté qui voulait "sauver l'amour", prônait la paix en poussant des coups de gueule médiatiques, est l'occasion de revenir sur cette éternelle question : l'artiste peut-il légitimement se servir de son art et de sa notoriété pour défendre ses convictions, qu'elles soient politiques, sociales ou autres ?

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La réponse est oui, d'une part parce que certaines personnalités se servent de leur notoriété pour d'autres choses beaucoup moins glorieuses, et d'autre part (et surtout j'ai envie de dire) parce que l'oeuvre artistique en elle-même est le reflet de ce qu'est l'artiste, ou de ce qu'il veut représenter.

En cela, l'oeuvre musicale de Balavoine est très représentative de ce qu'il était, de ce qui l'importait, de ce qu'il défendait ou dénonçait. De Starmania (ou la passion de Johnny Rockfort selon les évangiles télévisés), opéra-rock futuriste créé par Luc Plamandon et Michel Berger, étonnement visionnaire en son temps (1978), à L'aziza, Balavoine débute sa carrière en chantant la noirceur de ce que pourrait être le monde si on ne change rien et la termine brutalement en nous laissant un testament d'amour et de tolérance, son ultime tube ayant été récompensé par SOS Racisme. Cette chanson est un cri, d'amour pour sa femme Corinne (L'aziza signifiant "chérie"), de colère et de révolte à l'encontre de ceux qui prônent le racisme : "Je vis avec une femme qui est juive marocaine. Aussi lorsque j'entends certaines personnes dire qu'il faut foutre dehors les immigrés, j'ai peur qu'on me l'enlève." 

Daniel Balavoine - L'Aziza [Clip Officiel]

Estampillé "chanteur engagé", il l'était dans ses textes. "Je ne fais pas de la guimauve"disait-il en sueur à l'issue d'un concert live, au micro d'un journaliste. Seulement l'oeuvre d'un artiste engagé s'ancre toujours dans le contexte de son époque, et bien souvent, on n'en retient a posteriori que ce que nous offre une première lecture, une première écoute qui s'attache davantage à son aspect artistique qu'au message véhiculé.

Aussi, en citoyen de son temps, Balavoine ne s'est pas contenté de dénoncer en chansons. Porte-parole de toute une génération "qui se désespère", il fut aussi un acteur médiatique qui fit grincer des dents, au même titre que son ami Coluche, pour dire tout haut et sans prendre de gants ce que nombre de ses pairs pensaient. Son intervention la plus célèbre fut la prise à partie du candidat François Mitterand sur le plateau d'un journal télévisé, à une époque où les médias sont encore sous contrôle étatique (les radios libres et la privatisation de la télévision ne seront une réalité qu'après l'avènement de Mitterand à l'Elysée).

Balavoine Mitterand 

Si aujourd'hui un Matt Pokora faisait la même chose à l'encontre d'un Hollande ou Sarkozy candidat (si tant est que cela soit dans son intention), sûr que ça n'aurait pas la même résonnance, le même impact puisque la censure n'est plus de mise. Et c'est bien pour cette raison que Balavoine prend la parole sans qu'on la lui donne à ce moment-là : parce qu'il sait qu'il ne pourra pas dire ce qu'il veut. D'ailleurs, durant cette même campagne présidentielle, le candidat Coluche sera lui-même interdit de toute émission télévisée à l'exception de celle de Collaro, humoristique. Et même là, sa parodie politique sera censurée. L'artiste, clown ou chanteur, a le droit de dire et penser ce qu'il veut à travers son oeuvre artistique, mais dès lors qu'on commence à le prendre au sérieux, et que ses paroles citoyennes dépassent le strict cadre artistique, on le bâillonne. Est-ce à dire que notre époque actuelle est davantage libertaire ? Sans doute, si l'on se réfère au jugement du tribunal de Grande Instance de Paris qui avait débouté le recours en référé de Jean-Marie Le Pen, alors candidat aux présidentielles de 2002, à l'encontre du film de Gilles de Maistre dépeignant de façon peu glorieuse les pratiques d'un parti d'extrême-droite fictif : Féroce, avec Jean-Marc Thibaud en leader politique, Claire Keim jouant le rôle de sa fille, et Sami Nacéri. Et puis, les médias se sont multipliés, il y a désormais plein de moyens de contourner la censure si censure il y a.

Balavoine contre Mitterand n'a pas été le seul coup de gueule médiatique du chanteur. Sa prise de position contre la guerre, de façon très virulente, a également fait couler beaucoup d'encre.

Daniel Balavoine : "J'emmerde tous les pouvoirs"

 

Face à la critique faite à l'encontre de ses nombreuses interventions, il déclarait : "Je m'emporte pour ce qui m'importe""si on ne veut pas connaître mon avis, on n'a qu'à pas me le demander !"

Vous me direz, s'insurger contre le système, les injustices, c'est facile, mais en dehors de ça, il a fait quoi Monsieur Balavoine ? Lorsqu'il part sur le Paris-Dakar  fin 85-début 86, c'est dans un but humanitaire, celui de fournir des motopompes d'irrigation pour la culture du riz au Sénégal, en Mauritanie et au Mali, afin de permettre à leurs habitants d'atteindre l'autosuffisance alimentaire. Le 14 janvier 1986, il est hélas victime d'un accident en compagnie de Thierry Sabine, l'organisateur du Dakar, et de François Xavier Bagnoud*, pilote suisse de l'hélicoptère qui s'est écrasé dans le désert. Aujourd'hui, même si "l'homme qui voulait sauver l'amour est parti quand même un peu vite" (extrait de la chanson Dormir debout, Francis Cabrel), la fondation Daniel Balavoine, créée par ses amis et sa famille en mars 1986, tente de poursuivre ce qu'il avait initié.

* : A la mort du pilote, sa mère a également créé une association qui œuvre toujours pour permettre de sortir durablement des familles de l’extrême pauvreté, la fondation FXB.

 "Et j'ai souvent souhaité partir avant les miens pour ne pas hériter de leur flamme qui s'éteint" D. Balavoine.

 

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